samedi 8 mars 2014

De la discrétion

S'il y a un endroit où il faut parler de la discrétion, de la pudeur ou encore a contrario, de l'exhibition, c'est bien sur un blog. Dans cette société de l'ego glorifié où acheter une paire de chaussures ou bien coucher avec une copine de blog est un acte sublime, il est bien évident que parler de pudeur est un joli paradoxe.

La blogosphère, les réseaux sociaux nous captent, nous affichent, nous prouvent. Est-il possible d'échapper à la machine... Pour Damasio, "la liberté d'utiliser ou de repousser la technologie est inexistante aujourd'hui". Ce n'est pas le patron de Google qui dira le contraire.

Alors, si je devais choisir de ne plus exister dans mes sociabilités numériques, le pourrais-je seulement? Si je n'apparais plus, suis-je ? Les risques sont réels: rater un job, perdre le contact avec des amis expatriés,  ne pas savoir ce que font ses enfants avec leurs claviers. Pour exister, je dois numériquement exister et apparaître à l'écran.

Il y a alors trois possibilités.

Jouer le jeu. Tirer profit de la technologie pour réussir sa carrière numérique et clairement, sa carrière réelle. Je connais des gens qui réussissent parce qu'ils savent apparaître correctement numériquement. Le potentiel du numérique pour en tirer avantage de façon très réelle est considérable et certains maîtrisent la chose parfaitement.

Quitter la partie. Il s'agit là, et c'est en soi troublant à dire et à écrire, quelque chose de difficile à décrire.  Comme une forme de clandestinité voire de suicide virtuel. Je ne connais quasiment plus de gens vivant dans cette situation. Mais il ne faut pas sous estimer le besoin que l'on a tous de sociabilité. La clandestinité n'est pas une vie. Se tuer virtuellement peut à mon avis avoir des conséquences bien réelles et considérables. La clandestinité numérique est un effort constant; il faut connaître parfaitement la technologie pour savoir toujours y échapper au mieux. Et puis surtout, au final, quel est le but ? Il ne s'agit pas de dire que la technologie est immorale... Il s'agit juste de ne pas trop s'approcher du soleil.

Troisième possibilité donc: perdre le gout de la lumière. Comme le dit Pierre Zaoui, gouter "la joie apaisante de laisser paraître les autres". Ne pas participer trop à votre spectacle, me repose. J'aime bien le théâtre, mais surtout en tant que spectateur. Considérer la société du spectacle comme un phénomène extérieur à soi-même. Non pas quelque chose dont nous voulons nous exclure, ce qui semble presque impossible, mais considérer la situation avec la plus grande passivité possible.

Ne pas collaborer au spectacle, ne pas le refuser, mais juste faire de la discrétion une position la plus apte à vous offrir aux autres quand l'exhibition est une forme de violence et de domination.

L'exhibition distingue et divise, hiérarchise. La discrétion lisse, détend et humanise.
Elle reste la seule façon d'avoir de vrais amis. Tout simplement.

Zaoui rappelle enfin une chose: "plus il y de moyens de communication, plus il y de moyens de les couper". A chacun d'être inventif. Mais la société des flux est tellement fragile.


Et comme sur le net, on perd très vite l'habitude de citer ses sources pour se glorifier, je dois citer les suivants:

La discrétion, Pierre Zaoui, éd Autrement.

La peur de l'insignifiance nous rend fou, Carlo Strenger, Belfond.

Et bien sur, La société du spectacle, Guy Debord.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.